L'Art à la source by Claude Roy

L'Art à la source by Claude Roy

Auteur:Claude Roy
La langue: fra
Format: epub


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La rage au cœur, la maladie au corps, l'œil aigu, Baudelaire découvre l'Espagne en Belgique, et le baroque hispanique à Bruxelles. Cet homme épuisé, hagard, qui chancelle et déjà s'éteint, qui manque de s'évanouir parce qu'un passant marche derrière lui, parce qu'il croise un enfant ou un chien, griffonne d'une misérable écriture exténuée les notes d'un livre furieux, Pauvre Belgique. Mais chaque ligne ici, dès qu'il s'agit d'art, fait mouche, va droit à l'essentiel. L'hispanisme des Flandres qu'occupa le duc d'Albe est cerné en cinquante formules éblouissantes d'intelligence. « Le rococo (Baudelaire embrasse ici sous ce terme l'ensemble du style baroque) est la dernière floraison du gothique... Les Jésuites et le style jésuitique. Style de génie. Caractère ambigu et complexe de ce style. (Coquet et terrible)... J.-C. faisant le trapèze... Terrible couleur, terrible style espagnol. » D'une église jésuite il dit, en trois mots foudroyants : « Merveille sinistre et galante. » Baudelaire n'hésite pas un instant : il va au cœur de cet art qu'il tient pour injustement méconnu : « Style théâtral... Il y a du théâtre et du boudoir dans la décoration jésuitique... Chaires énormes et théâtrales. La mise en scène en bois... Ici la sculpture dramatique arrive au comique sauvage, au comique involontaire. » Le doigt déjà tremblant, bientôt paralysé, du grand et malheureux poète se pose sans hésiter sur le nœud du problème : « coquet » en Italie, « terrible » en Espagne et en Flandre, le baroque est toujours un art de la mise en scène.

L'Espagne de la Contre-Réforme, nous l'avons dit, porte à son apogée un certain nombre de genres dramatiques. « Ce qui réjouit et récrée le plus, dit Calderón dans Le Grand Théâtre du Monde, c'est le jeu de théâtre. » Les formes dramatiques de l'edad de oro, le siècle d'or, seront l'auto sacramental, sur la scène, qui enseigne au peuple les vérités de la foi par le mensonge des fictions, l'auto da fe, sur la place publique, qui apprend à vivre aux hérétiques et aux fidèles (en brûlant les premiers et en effrayant les seconds), la procession dans les rues, qui frappe l'imagination, et cette procession immobile, les figures de la sculpture polychrome, dans le décor théâtral de l'église baroque. L'année 1559 est une excellente année-échantillon pour la floraison de ces genres : Lope de Rueda parcourt l'Espagne avec son théâtre ambulant, on brûle quinze hérétiques à Valladolid le 21 mai, quatorze à Séville le 24 septembre, douze le 8 octobre de nouveau à Valladolid, Alonso Berruguete et Juan de Juni achèvent de sculpter les retables de la même Valladolid, Montañès et Gregorio Fernandez vont naître pour continuer leur œuvre, et la procession de la Semaine Sainte à Séville est cette année-là particulièrement courue.

« Une des choses les plus tristes pour l'Espagne, écrivait Miguel de Unamuno, ce serait que nous pussions redevenir frivoles et joviaux. » Ni la frivolité, ni la jovialité n'ont jamais menacé l'Espagne. Le baroque italien aura souvent un caractère de stupéfiante mondanité, avec ses vierges et ses saintes en déshabillé galant et ses églises qui multiplient les œillades.



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